La question de la taxe sur la valeur ajoutée dans le cadre d’un bail commercial soulève régulièrement des interrogations chez les propriétaires comme chez les locataires. Contrairement à une idée reçue, l’application de la TVA sur les loyers commerciaux n’est ni systématique ni automatique. Elle dépend en réalité de plusieurs critères : la nature des locaux loués, leur niveau d’équipement, mais aussi le choix du bailleur d’opter ou non pour cet assujettissement. Comprendre ces mécanismes permet d’optimiser sa situation fiscale et d’éviter les mauvaises surprises lors d’un contrôle.
Quelle TVA pour un bail commercial ?

La TVA : rappel des fondamentaux
La taxe sur la valeur ajoutée constitue un impôt indirect sur la consommation que les professionnels collectent à chaque transaction commerciale avant de la reverser à l'État. Pour qu'une activité soit assujettie à la TVA, deux conditions principales doivent être réunies selon l'article 256, I du Code général des impôts : l'exercice d'une activité économique d'une part, et le caractère indépendant de cette activité d'autre part. Autrement dit, seules les entreprises sont concernées, excluant de fait les salariés et les fonctionnaires.
L'application de la TVA suppose également que le professionnel agisse en tant que tel. Les prestations ou ventes effectuées en dehors du cadre professionnel échappent donc à cet impôt. Dans le contexte de la location immobilière, cette distinction prend toute son importance.
Les locaux commerciaux équipés : assujettissement de plein droit
Qu'entend-on par local équipé ?
Un local commercial est considéré comme équipé lorsqu'il dispose du mobilier, du matériel ou des installations nécessaires à l'exercice de l'activité professionnelle du locataire. La jurisprudence a précisé cette notion dans un arrêt du Conseil d'État du 26 décembre 2013 : il s'agit des équipements
sans lesquels l'exploitation commerciale à laquelle ils sont destinés n'est pas possible
Concrètement, entrent dans cette catégorie les salles meublées à usage de réunions, les courts de tennis loués avec leur équipement complet, les salles de spectacles aménagées pour accueillir le public, les stands dans les foires et expositions, les vitrines consenties par certains assujettis, les locaux professionnels totalement aménagés dans le cadre d'un contrat de collaboration, les cabinets dentaires entièrement équipés, les installations radiologiques mises en location, les halls d'exposition ou encore les immeubles à usage de clinique comportant des installations spécialisées.
Application du taux normal de 20%
Les locations de locaux commerciaux équipés sont obligatoirement soumises à la TVA au taux normal de 20%, sauf si le bailleur bénéficie du régime de la franchise en base mentionné précédemment. Le loyer doit être établi hors taxe, puis la TVA de 20% vient s'y ajouter. Ainsi, un loyer de 1 000 € augmentera de 200 € une fois le taux de TVA appliqué, portant le montant total à 1 200 €. Ce montant évoluera proportionnellement à chaque révision du loyer.
Conséquences fiscales pour le bailleur
Lorsqu'un bailleur loue des locaux équipés, il est imposable dans la catégorie des Bénéfices Industriels et Commerciaux (BIC) s'il s'agit d'une personne physique. Cette qualification présente certains avantages : possibilité de déduire les amortissements, les intérêts financiers en cas de crédit, ainsi que diverses charges liées à l'exploitation.
L'assujettissement à la TVA permet également au bailleur de récupérer la taxe ayant grevé ses investissements : coût d'acquisition des locaux, achat des meubles et équipements, travaux d'aménagement ainsi que les frais afférents. Cette récupération s'effectue dans le respect des conditions de fond et de forme de la TVA déductible.
Les terrains aménagés : un régime particulier
La location de terrains pourvus d'aménagements entre également dans le champ d'application de la TVA. Les terrains de camping équipés de sanitaires, d'emplacements tracés et d'autres installations sont ainsi soumis à la taxe, sauf lorsque les services rendus présentent une nature sociale et non concurrentielle.
Dans ce cas spécifique, un taux réduit de 10% peut s'appliquer, à condition que plusieurs critères soient réunis simultanément : les biens mis à disposition doivent être spécialement aménagés pour un usage d'habitation, le terrain de camping doit être classé, une note conforme à un modèle agréé par l'administration doit être délivrée à chaque client, l'exploitant doit assurer un accueil avec un local ouvert tous les jours en saison, et enfin, 1,5% du chiffre d'affaires doit être consacré à des dépenses de publicité.
À noter : Si l'ensemble de ces conditions n'est pas rempli, le taux normal de 20% s'applique à la location du terrain de camping.
Les locaux nus : l'exonération comme principe
Définition et portée de l'exonération
En principe, les locations de locaux nus et de terrains non aménagés sont exonérées de TVA, quelle que soit leur nature (usage industriel, commercial ou professionnel) et quel que soit le statut juridique du bailleur. Cette exonération s'applique tant aux loyers qu'aux charges locatives.
Un local est considéré comme nu lorsqu'il ne dispose pas des équipements nécessaires à l'exercice de l'activité du locataire. Même si le local contient du matériel, il sera considéré comme nu si ces équipements ne correspondent pas à l'activité professionnelle exercée par le preneur.
Dans cette configuration, l'activité de location revêt un caractère civil et les loyers perçus par une personne physique sont imposés au titre des revenus fonciers.
L'option pour l'assujettissement à la TVA
Bien que les locaux nus soient exonérés de plein droit, le bailleur dispose de la possibilité d'opter pour la taxation à la TVA. Cette option stratégique permet de récupérer la TVA sur les dépenses engagées pour le local : travaux de rénovation, coût d'acquisition du bien, ou encore diverses dépenses d'aménagement.
Pour que cette option soit valable, le bailleur doit remplir deux conditions : être propriétaire du local à titre personnel, et louer soit à sa propre entreprise, soit à une entreprise tierce. L'option doit être formulée auprès du service des impôts dans les 15 jours suivant le début de la location.
Cette option prend effet le premier jour du mois au cours duquel elle est formulée et vaut pour une période de 10 ans. La jurisprudence du Conseil d'État du 21 décembre 2023 a précisé que l'option ne peut pas produire d'effets de manière rétroactive.
L'encadrement jurisprudentiel de l'option
La Cour de cassation, dans un arrêt du 12 septembre 2024, a apporté un éclairage déterminant sur les conditions de mise en œuvre de l'option pour la TVA. Pour se prévaloir de l'assujettissement des loyers à la TVA, le bailleur doit impérativement justifier avoir opté pour ce choix.
Dans l'affaire jugée, un bailleur avait facturé de la TVA sur les loyers alors que le contrat de bail commercial stipulait un loyer hors taxes. La Cour d'appel de Toulouse, confirmée par la Cour de cassation, a considéré que le bailleur ne pouvait pas répercuter la TVA au locataire en l'absence de preuve d'avoir régulièrement opté pour l'assujettissement.
Les trois exceptions à l'exonération
Même lorsqu'elle porte sur des locaux nus, la location peut être obligatoirement soumise à la TVA dans trois hypothèses spécifiques, sans que le bailleur ait besoin d'exercer une option.
Participation du bailleur à l'exploitation
La première exception concerne les situations où le bailleur, bien que non propriétaire du fonds, prend part à son exploitation. Cette participation peut résulter de clauses particulières du bail : loyer proportionnel aux résultats du locataire, constructions nouvelles édifiées par le locataire qui deviennent la propriété du bailleur, participation à la gestion ou au résultat de la société locataire.
Poursuite d'un actif commercial sous une forme particulière
La deuxième exception vise les cas où le bailleur utilise la location pour poursuivre sous une forme différente l'exploitation d'un actif commercial. L'exemple classique est celui d'une personne qui, ayant fait apport à une société dont elle est gérante de son fonds de commerce, donne en location à cette même société l'immeuble nécessaire à l'exploitation du fonds. De même, un négociant en boissons qui loue des locaux nus à usage de débits de boissons en imposant aux locataires de s'approvisionner auprès de lui ou d'un établissement qu'il désigne entre dans cette catégorie.
Accroissement des débouchés du bailleur
La troisième exception s'applique lorsque la location constitue pour le bailleur un moyen d'accroître ses débouchés. C'est notamment le cas lorsque les locataires bénéficient d'un apport de clientèle du fait de la proximité du commerce du bailleur (une grande surface par exemple), justifiant un loyer plus élevé que la normale, et que le bailleur bénéficie en retour d'un apport de clientèle de ses locataires lui permettant d'accroître ses propres ventes.
Les avantages de l'assujettissement à la TVA
L'application de la TVA au loyer d'un bail commercial présente plusieurs intérêts pour les parties prenantes.
Pour le bailleur
L'avantage principal réside dans la possibilité de déduire la TVA ayant grevé les investissements. Cette déduction porte notamment sur les travaux d'aménagement, de rénovation ou de construction. Si le bailleur a payé de la TVA lors de la construction ou de l'achat du bien, il pourra la récupérer, améliorant ainsi significativement la rentabilité de son investissement.
Pour le locataire
Le locataire assujetti à la TVA a également intérêt à ce que son propriétaire opte pour la taxation. En effet, il pourra récupérer la TVA facturée sur les loyers, à condition d'être lui-même redevable de la taxe et de réaliser des opérations soumises à la TVA. Cette récupération vaut pour les loyers comme pour le pas-de-porte éventuel.
En revanche, si le locataire n'est pas assujetti à la TVA ou bénéficie de la franchise en base, l'application de la taxe augmentera de 20% le coût réel de son loyer sans possibilité de récupération.
Calcul et facturation de la TVA
Modalités de calcul
Le calcul de la TVA sur un loyer commercial est simple. Le taux applicable est de 20% (ou 10% dans certains cas spécifiques de terrains de camping). Le loyer doit être établi hors taxe, puis la TVA vient s'y ajouter pour obtenir le montant toutes taxes comprises.
Exemple : pour un loyer de 2 000 € HT, la TVA s'élève à 400 €, portant le loyer TTC à 2 400 €. À chaque révision du loyer, le montant de la TVA évolue proportionnellement.
Obligations de facturation
Le bailleur doit facturer la TVA sur chaque loyer versé par le preneur. La quittance doit obligatoirement faire figurer le montant hors taxe du loyer, le taux de TVA applicable, le montant de la TVA et le loyer toutes taxes comprises. Cette transparence permet au locataire de récupérer la taxe le cas échéant.
Les obligations déclaratives et comptables
L'assujettissement à la TVA, qu'il résulte d'une obligation légale ou d'une option, entraîne un certain nombre de contraintes administratives pour le bailleur.
Inscription et déclaration d'activité
Le bailleur doit d'abord déclarer son activité auprès de l'administration fiscale. Cette déclaration s'effectue via le formulaire P0i pour les personnes physiques. Le bailleur obtient alors un numéro de TVA intracommunautaire qui devra figurer sur toutes ses factures.
Déclarations périodiques de TVA
Le locataire soumis à la TVA est tenu de se soumettre à l'ensemble des obligations de déclaration et de comptabilité. Les déclarations de TVA doivent être effectuées de manière périodique, généralement mensuellement ou trimestriellement selon le chiffre d'affaires réalisé. Ces déclarations permettent de reverser à l'État la TVA collectée sur les loyers, après déduction de la TVA payée en amont sur les dépenses.
Tenue de la comptabilité
Le bailleur assujetti doit tenir une comptabilité adaptée justifiant toutes les écritures, les factures émises (loyers facturés) et les factures reçues (travaux, achats d'équipements, etc.). Cette documentation sera indispensable en cas de contrôle fiscal pour justifier les montants de TVA collectée et déductible déclarés.
À noter : Les recettes issues des différents loyers doivent être centralisées sur une seule déclaration. La déclaration de TVA se fait auprès du service des impôts du ou des biens loués.
Points de vigilance et bonnes pratiques
Rédiger un bail commercial précis
La rédaction du bail commercial mérite une attention particulière. Il est vivement recommandé d'indiquer clairement si le propriétaire opte pour la TVA, de mentionner le montant hors taxe du loyer ainsi que le montant de la taxe. Cette clarté contractuelle évite tout malentendu et sécurise les relations entre bailleur et preneur.
Les clauses spécifiques susceptibles de déclencher l'assujettissement à la TVA doivent également être identifiées : loyer proportionnel aux résultats, obligations d'approvisionnement, participation du bailleur à la gestion. La présence de telles clauses peut basculer une location normalement exonérée dans le champ d'application de la TVA.
Anticiper les contrôles fiscaux
Un local qui devrait être considéré comme équipé aux yeux de l'administration mais pour lequel aucune TVA n'a été facturée expose le bailleur à un redressement fiscal. À l'inverse, facturer de la TVA sans avoir régulièrement opté ou sans remplir les conditions légales constitue également une irrégularité.
Se faire accompagner par des professionnels
La complexité des règles applicables à la TVA sur les baux commerciaux justifie pleinement le recours à des experts. Avocats fiscalistes, experts-comptables et conseillers spécialisés en immobilier professionnel peuvent apporter une aide précieuse pour sécuriser les démarches, optimiser la situation fiscale et éviter les erreurs coûteuses.
Ces professionnels peuvent notamment assister le bailleur dans l'exercice de l'option pour la TVA, dans la rédaction des clauses du bail, dans l'établissement des déclarations fiscales ou encore dans la gestion d'un éventuel contentieux avec l'administration fiscale.
FAQ : Vos questions sur la TVA en bail commercial
Comment déterminer rapidement si un local commercial est soumis à la TVA ?
Il convient d'abord de vérifier si le local est nu ou équipé. Un local équipé contient le mobilier et les équipements essentiels à l'activité du preneur et est soumis à la TVA de plein droit à 20%. Un local nu est en principe exonéré, sauf option du bailleur ou exceptions légales (participation du bailleur à l'exploitation, poursuite d'un actif commercial, accroissement des débouchés).
Quel est le taux de TVA pour la location d'un terrain de camping aménagé ?
Le taux normal est de 20%. Toutefois, un taux réduit de 10% peut s'appliquer si l'activité présente un caractère social et non concurrentiel, et que le terrain remplit certaines conditions précises : classement, accueil assuré, facturation conforme, dépenses de publicité représentant 1,5% du chiffre d'affaires.
Est-il obligatoire de facturer la TVA pour un bail commercial sur un local nu ?
Non, la règle générale est l'exonération pour les locaux nus. Le bailleur peut néanmoins opter pour l'assujettissement à la TVA s'il souhaite récupérer la taxe sur ses investissements. Dans certains cas, la loi rend la location obligatoirement imposable, notamment si le bailleur participe aux résultats de l'entreprise locataire.
Que se passe-t-il si le bailleur dépasse les seuils de chiffre d'affaires pour la franchise en base ?
Dès lors que les seuils sont franchis (85 000 € sur l'année N-1 et 93 500 € sur l'année N pour une activité commerciale), le bailleur perd le bénéfice de la franchise en base. Il doit alors facturer la TVA dès le premier jour du dépassement et se conformer à l'ensemble des obligations déclaratives et comptables.
Peut-on récupérer la TVA sur un pas-de-porte ?
Oui, si la location est elle-même soumise à la TVA. Le pas-de-porte suit le même régime fiscal que le loyer. Si le bail est exonéré de TVA, le pas-de-porte ne sera pas soumis à la taxe. Si le bail est assujetti, le pas-de-porte l'est également au même taux de 20%.
Comment calculer l'augmentation du loyer commercial ?
L'augmentation du loyer commercial s'effectue par référence à l'indice des loyers commerciaux (ILC) publié trimestriellement par l'INSEE. La formule de calcul est la suivante : loyer en cours × (dernier indice publié ÷ indice de référence au premier loyer). La TVA s'applique ensuite sur le montant du loyer révisé si le bail y est soumis.
Le bailleur peut-il opter pour la TVA en cours de bail ?
Oui, le bailleur peut exercer l'option pour la TVA à tout moment, y compris en cours de bail. Toutefois, cette option prend effet le premier jour du mois au cours duquel elle est formulée auprès du service des impôts, sans effet rétroactif. Il est nécessaire de régulariser un avenant au bail avec le locataire pour prévoir cette modification.
Quelles sont les sanctions en cas de facturation irrégulière de la TVA ?
La facturation de TVA sans avoir régulièrement opté ou sans remplir les conditions légales expose le bailleur à un redressement fiscal. L'administration peut exiger le remboursement des sommes indûment perçues au titre de la TVA, majorées d'intérêts de retard et éventuellement de pénalités. À l'inverse, l'absence de facturation de TVA sur des locaux équipés peut entraîner un rappel de taxe.