Le bail commercial représente un élément fondamental pour l’activité d’un commerçant, d’un artisan ou d’un industriel. Lorsque ce contrat arrive à son terme, la question du renouvellement se pose avec acuité. Contrairement aux idées reçues, un bail commercial ne se termine pas automatiquement à son échéance. Les règles qui encadrent le non-renouvellement sont particulièrement protectrices pour le locataire, qui peut prétendre dans la plupart des cas à une indemnisation substantielle. Entre droits du propriétaire et protection du fonds de commerce, la législation établit un équilibre précis qu’il convient de maîtriser.
Non renouvellement d’un bail commercial : que faire ?

Le fonctionnement du bail commercial à l'échéance du contrat
Les spécificités du bail 3-6-9
Le bail commercial engage les parties pour une durée minimale de 9 ans. Cette obligation pèse uniquement sur le bailleur, car le locataire dispose d'une faculté de résiliation à chaque période triennale. Concrètement, le preneur peut quitter les lieux après 3, 6 ou 9 ans d'occupation, d'où l'appellation courante de "bail 3-6-9". Cette possibilité offre une certaine souplesse au locataire dans la gestion de son activité professionnelle.
Pour exercer cette faculté, le locataire doit donner congé au moins 6 mois à l'avance, sans avoir à justifier d'un motif particulier. Des situations spécifiques permettent même de résilier à tout moment, comme le départ à la retraite ou une invalidité, toujours avec le respect du préavis de 6 mois.
La tacite prolongation : un mécanisme automatique mais risqué
Lorsque le bail atteint son terme et qu'aucune des parties ne se manifeste, le contrat se poursuit automatiquement par tacite prolongation. Il ne s'agit pas de la formation d'un nouveau bail, mais de la continuation du contrat existant pour une durée indéterminée. Les conditions initiales restent applicables : loyer, charges, obligations diverses.
Autre danger : lorsque la durée totale du bail dépasse 12 ans, le propriétaire peut déplafonner le loyer et le fixer à la valeur locative du marché. Cette révision peut s'avérer particulièrement coûteuse pour le locataire. Il est donc vivement recommandé de régulariser la situation avant d'atteindre ce seuil.
Les situations de refus de renouvellement avec indemnité d'éviction
Le principe du droit au renouvellement
La législation sur les baux commerciaux, codifiée aux articles L. 145-14 et suivants du Code de commerce, confère au locataire un droit au renouvellement de son bail. Ce droit constitue une protection essentielle pour le locataire qui a développé son activité et sa clientèle dans les lieux loués.
Lorsque le bailleur refuse ce renouvellement sans motif légitime, il est tenu de verser une indemnité d'éviction destinée à compenser l'intégralité du préjudice subi par le locataire. Cette indemnité représente souvent un montant considérable, ce qui explique pourquoi de nombreux bailleurs préfèrent renouveler le bail plutôt que de payer cette compensation.
Les conditions d'éligibilité à l'indemnité d'éviction
Pour prétendre au versement de l'indemnité d'éviction, le locataire doit remplir plusieurs conditions cumulatives :
- Être immatriculé au Registre du Commerce et des Sociétés (RCS) ou au Répertoire des Métiers et de l'Artisanat à la date de délivrance du congé
- Exploiter effectivement le fonds de commerce depuis au moins 3 ans avant la date d'expiration du bail
- Occuper un local ou un immeuble à usage commercial
- Ne pas avoir commis de manquements graves à ses obligations contractuelles
Pour la location-gérance, le propriétaire du fonds doit l'avoir exploité préalablement pendant 2 années minimum, faute de quoi ni lui ni le locataire-gérant ne pourront bénéficier du droit au renouvellement ou de l'indemnité d'éviction.
Les modalités du congé avec refus de renouvellement
Le propriétaire qui souhaite refuser le renouvellement doit respecter une procédure stricte. Le congé doit être notifié par acte d'huissier de justice (désormais commissaire de justice) au moins 6 mois avant le terme du bail et pour le dernier jour du trimestre civil.
À noter : si le bailleur envoie un congé le 2 avril, celui-ci ne prendra effet que le 31 décembre suivant. Le délai de 6 mois court du 2 avril au 2 octobre, auquel s'ajoute le temps nécessaire pour parvenir à la fin du trimestre civil.
Le congé doit impérativement mentionner plusieurs informations :
- Les motifs précis du refus de renouvellement
- L'offre d'une indemnité d'éviction ou les raisons de son refus
- La possibilité pour le locataire de contester le congé ou de demander l'indemnité devant le tribunal judiciaire dans un délai de 2 ans
Les cas de refus de renouvellement sans indemnité d'éviction
Les motifs graves et légitimes
Le bailleur peut s'exonérer du paiement de l'indemnité d'éviction s'il justifie d'un motif grave et légitime à l'encontre du locataire. Ces motifs recouvrent principalement :
- Le non-paiement récurrent du loyer ou des charges
- L'absence de réparations locatives incombant au locataire
- Le défaut d'exploitation effective du fonds de commerce
- L'exercice d'une activité non prévue au bail
- Toute autre violation grave des obligations contractuelles
La mise en demeure préalable obligatoire
- Elle doit être effectuée par acte extrajudiciaire
- Elle doit préciser le motif invoqué de manière détaillée
- Elle doit reproduire les termes de l'article L. 145-17 alinéa 1 du Code de commerce
Le bailleur peut se dispenser de mise en demeure uniquement si la situation n'est pas susceptible de régularisation ou si le locataire a perdu le bénéfice du statut des baux commerciaux.
La démolition et l'insalubrité de l'immeuble
Le propriétaire n'est pas tenu de verser l'indemnité d'éviction lorsque l'autorité administrative reconnaît que l'immeuble doit être démoli en raison de son insalubrité ou du danger que représente son état. Cette situation nécessite un arrêté préfectoral constatant l'état du bâtiment.
La reconstruction avec offre de remplacement
Lorsque le bailleur envisage de reconstruire, surélever ou restaurer l'immeuble, il peut refuser le renouvellement. Toutefois, il reste tenu de verser l'indemnité d'éviction, sauf s'il propose au locataire un local de remplacement correspondant à ses besoins dans un emplacement équivalent.
La reprise pour habitation
Si le local commercial dispose d'un logement d'habitation accessoire, le bailleur peut refuser le renouvellement sans indemnité s'il souhaite y habiter ou y loger un membre de sa famille proche (conjoint, ascendants, descendants). Cette possibilité est encadrée : les bénéficiaires ne doivent pas disposer d'un logement au moment de la reprise.
Le calcul de l'indemnité d'éviction : une évaluation complexe
L'indemnité principale : remplacement ou transfert ?
L'indemnité d'éviction vise à réparer l'intégralité du préjudice causé par le défaut de renouvellement. Son montant dépend essentiellement d'une question : le fonds de commerce est-il appelé à disparaître ou peut-il être transféré ?
L'indemnité de remplacement ou "perte de fonds" s'applique lorsque le locataire perd sa clientèle du fait du refus de renouvellement. Cette situation concerne principalement les commerces de quartier ou de proximité, pour lesquels l'emplacement est déterminant. L'indemnité correspond alors à la valeur marchande intégrale du fonds, déterminée selon les usages de la profession. Plusieurs méthodes d'évaluation existent : par le chiffre d'affaires, par le résultat d'exploitation, par le taux sur recettes.
À noter : si la valeur du droit au bail s'avère supérieure à celle du fonds en raison d'une situation exceptionnelle du local, l'indemnité sera égale à cette valeur du droit au bail.
L'indemnité de transfert ou "de déplacement" concerne les situations où le lieu d'exploitation importe peu et où le locataire conserve sa clientèle malgré un déménagement. Le fonds n'étant pas perdu, il n'a pas à être remplacé. Pour apprécier cette possibilité de réinstallation, les tribunaux tiennent compte de la nature de l'activité et de l'état du marché locatif dans le quartier.
Dans ce cas, l'indemnité correspond à la valeur du droit au bail, généralement évaluée par la méthode du différentiel : la différence entre le loyer plafonné que le locataire aurait payé en cas de renouvellement et le loyer du marché qu'il devra payer dans un nouveau local. Ce différentiel est multiplié par un coefficient de capitalisation ou de situation tenant compte de la nature de l'activité et de la commercialité de l'emplacement.
Les indemnités accessoires : une liste extensive
Quelle que soit la nature de l'indemnité principale, s'ajoutent de nombreuses indemnités accessoires destinées à couvrir l'ensemble des frais et pertes liés à l'éviction :
- Frais de remploi : couvrent l'acquisition d'un nouveau fonds ou d'un nouveau droit au bail, incluant les frais d'agence immobilière
- Droits de mutation : également appelés droits d'enregistrement, à payer pour acheter un fonds de valeur identique
- Trouble commercial ou cessation d'exploitation : compense la perte de gains pendant le temps nécessaire à la réinstallation
- Frais de déménagement et de réinstallation
- Frais administratifs : changement de siège social, formalités diverses
- Perte du stock : le locataire doit démontrer qu'il a dû liquider ses marchandises dans des conditions préjudiciables
- Indemnités de licenciement : en cas de rupture des contrats de travail du personnel
- Indemnité de double loyer : lorsque le locataire doit supporter simultanément deux loyers
- Perte partielle de clientèle
- Indemnités de résiliation des contrats en cours
- Perte de licence le cas échéant
La date d'évaluation du préjudice
Le préjudice doit être évalué au jour le plus proche de l'éviction effective. Deux situations se présentent :
- Soit au jour du départ effectif du locataire
- Soit au jour où le juge statue, si le locataire n'a pas quitté les lieux en raison de son droit au maintien jusqu'au paiement de l'indemnité
La fixation du montant : amiable ou judiciaire
Les parties peuvent fixer amiablement le montant de l'indemnité d'éviction. Toutefois, compte tenu de la complexité de l'opération, elle est généralement fixée par le tribunal sur la base de l'évaluation d'un expert judiciaire préalablement désigné. Cette expertise permet d'obtenir une évaluation objective tenant compte de tous les paramètres économiques et professionnels.
La procédure et les délais à respecter impérativement
Le délai de 2 ans pour agir : une forclusion redoutable
Le locataire qui souhaite contester le congé ou réclamer l'indemnité d'éviction doit saisir le tribunal judiciaire avant l'expiration d'un délai de 2 ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné. Ce délai s'applique également en cas de demande de renouvellement du locataire suivie d'un refus du bailleur.
Le locataire qui tarde à solliciter le paiement de son indemnité dans l'espoir de se maintenir dans les lieux prend un risque considérable. Passé le délai de 2 ans, il pourrait se voir assigner en expulsion avec demande d'indemnité d'occupation, sans plus pouvoir réclamer l'indemnité d'éviction.
Le versement de l'indemnité et le droit de repentir
Une fois la décision de justice fixant le montant de l'indemnité devenue définitive, le bailleur dispose encore d'un délai de 15 jours pour exercer son droit de repentir. Durant cette période, le propriétaire peut revenir sur sa décision et proposer le renouvellement du bail, ce qui le dispense du paiement de l'indemnité. Cette faculté n'est possible que si le locataire n'a pas quitté les lieux et n'a pas pris de nouvelle location.
Passé ce délai de repentir, le locataire doit adresser au bailleur un commandement de payer par huissier de justice. Le bailleur dispose alors d'un délai de 3 mois pour verser l'indemnité, soit directement au locataire, soit à un séquestre désigné d'un commun accord (huissier, avocat).
Les droits du locataire pendant la période transitoire
Le maintien dans les lieux jusqu'au paiement
Tant que le bailleur n'a pas effectivement payé l'indemnité d'éviction, le locataire bénéficie d'un droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré. Ce droit constitue une protection essentielle pour le locataire, qui ne peut être expulsé avant d'avoir reçu sa compensation financière.
Durant cette période, le locataire ne verse plus de loyer à proprement parler, mais une indemnité d'occupation qui doit en principe correspondre à la valeur locative des locaux. Les parties doivent continuer à respecter toutes les clauses et conditions du bail expiré.
À noter : si le locataire manque à ses obligations durant cette période, le bailleur peut demander la résiliation du bail sans indemnité d'éviction. Réciproquement, si le bailleur n'assure pas une jouissance paisible au locataire, il ne peut exiger le paiement de l'indemnité d'occupation.
L'obligation de libération des lieux
Une fois l'indemnité d'éviction versée, le locataire doit quitter les locaux dans un délai maximum de 3 mois suivant la date du versement ou de la notification du versement à un séquestre. Ce délai permet au locataire d'organiser son déménagement et, le cas échéant, sa réinstallation.
En cas de non-libération des lieux dans ce délai et après mise en demeure, le locataire s'expose à des sanctions financières. Si un séquestre a été désigné, celui-ci peut retenir 1% par jour de retard sur le montant de l'indemnité. Si aucun séquestre n'a été désigné, le bailleur peut demander le versement de dommages et intérêts au tribunal.
FAQ : Questions fréquentes sur le non-renouvellement du bail commercial
Que se passe-t-il si ni le bailleur ni le locataire ne se manifestent à l'échéance du bail ?
Le bail commercial se poursuit automatiquement par tacite prolongation pour une durée indéterminée. Les conditions initiales restent applicables. Toutefois, cette situation présente des risques : le locataire perd son droit au bail et le bailleur peut déplafonner le loyer si la durée totale dépasse 12 ans.
Quel est le délai pour donner congé dans un bail commercial ?
Le congé doit être notifié au moins 6 mois avant le terme du bail et pour le dernier jour du trimestre civil. Cette règle s'applique aussi bien au bailleur qu'au locataire. Le congé du bailleur doit obligatoirement être délivré par acte d'huissier (commissaire de justice).
Dans quels cas le propriétaire peut-il refuser le renouvellement sans payer d'indemnité ?
Le bailleur peut s'exonérer de l'indemnité d'éviction en cas de motifs graves et légitimes (non-paiement du loyer, défaut d'exploitation, violations contractuelles), de démolition pour insalubrité, ou s'il propose un local de remplacement équivalent en cas de reconstruction. Une mise en demeure préalable est généralement nécessaire.
Comment est calculée l'indemnité d'éviction ?
L'indemnité comprend une indemnité principale (valeur du fonds ou coût de transfert) et des indemnités accessoires (déménagement, licenciements, perte de stock, frais administratifs, etc.). Elle est généralement fixée par un expert judiciaire et doit couvrir l'intégralité du préjudice subi.
Combien de temps le locataire a-t-il pour réclamer l'indemnité d'éviction ?
Le locataire dispose d'un délai de forclusion de 2 ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné pour saisir le tribunal. Passé ce délai, il perd définitivement son droit à l'indemnité. Il est donc impératif d'agir rapidement, même si des négociations sont en cours.
Qu'est-ce que le droit de repentir du bailleur ?
Après que le juge a fixé le montant de l'indemnité d'éviction, le bailleur dispose de 15 jours pour exercer son droit de repentir. Il peut ainsi revenir sur sa décision, proposer le renouvellement du bail et éviter le paiement de l'indemnité, à condition que le locataire n'ait pas quitté les lieux.
Peut-on rester dans les lieux après le refus de renouvellement ?
Oui, le locataire bénéficie d'un droit au maintien dans les lieux jusqu'au paiement effectif de l'indemnité d'éviction. Durant cette période, il verse une indemnité d'occupation (et non un loyer) correspondant à la valeur locative. Après versement de l'indemnité, il dispose de 3 mois maximum pour quitter les locaux.
Quelles conditions doit remplir le locataire pour bénéficier de l'indemnité d'éviction ?
Le locataire doit être immatriculé au RCS ou au Répertoire des Métiers, exploiter effectivement le fonds de commerce depuis au moins 3 ans, et ne pas avoir commis de manquements graves à ses obligations. Ces conditions sont cumulatives.
Que faire si le bailleur propose un local de remplacement en cas de reconstruction ?
Si le local de remplacement correspond aux besoins du locataire et se situe dans un emplacement équivalent, le locataire doit faire connaître son acceptation dans les 3 mois par acte extrajudiciaire ou lettre recommandée. Il percevra alors une indemnité réduite couvrant uniquement la privation temporaire de jouissance et les frais de déménagement.
Un locataire en location-gérance a-t-il droit à l'indemnité d'éviction ?
Le propriétaire d'un fonds qui concède une location-gérance doit l'avoir exploité préalablement pendant au moins 2 années. À défaut, ni lui ni le locataire-gérant ne pourront bénéficier du droit au renouvellement ou de l'indemnité d'éviction.
Faut-il se faire accompagner par un avocat pour gérer un non-renouvellement ?
L'évaluation de l'indemnité d'éviction constitue un exercice extrêmement technique et les enjeux financiers sont souvent considérables. L'assistance d'un avocat spécialisé en droit commercial et en baux commerciaux est vivement recommandée, tant pour le locataire que pour le bailleur, afin de sécuriser la procédure et d'optimiser ses droits.