Lorsqu’une entreprise fait l’objet d’une cession, d’une fusion ou de tout autre transfert, les salariés protégés se retrouvent souvent dans une situation d’incertitude quant au maintien de leurs prérogatives. Les récentes décisions de la Cour de cassation apportent des précisions essentielles sur la continuité du statut protecteur et les obligations qui incombent au nouvel employeur. Ces évolutions jurisprudentielles renforcent considérablement les garanties offertes aux représentants du personnel en cas de changement d’employeur.
Les droits du salarié protégé en cas de déménagement de l’entreprise

Le maintien automatique du statut protecteur lors d'un transfert
La protection accordée aux salariés investis d'un mandat représentatif ne s'évapore pas lors d'un transfert d'entreprise. Le statut de salarié protégé persiste automatiquement auprès du nouvel employeur, indépendamment de sa connaissance du mandat exercé par le salarié.
La conservation du mandat représentatif
Selon l'article L.2314-28 du Code du travail dans sa version antérieure à l'ordonnance du 22 septembre 2017, le mandat des délégués du personnel de l'entreprise cédée subsiste lorsque celle-ci conserve son autonomie juridique. Cette règle fondamentale garantit la continuité de la représentation du personnel malgré le changement d'employeur.
La Cour de cassation, dans son arrêt du 1er juin 2023, a clairement établi que l'entreprise cessionnaire hérite automatiquement des obligations liées au statut protecteur des salariés transférés. Cette position jurisprudentielle renforce la sécurité juridique des représentants du personnel.
L'indifférence de la connaissance du mandat par le cessionnaire
Un point particulièrement significatif concerne la connaissance effective du mandat par le nouvel employeur. L'absence de mention du mandat dans l'acte de cession ne dispense pas l'employeur cessionnaire de respecter la procédure applicable au licenciement des salariés protégés.
À noter : Même si le salarié protégé n'a pas fait état de son mandat auprès du nouvel employeur, ce dernier reste tenu de solliciter l'autorisation de l'inspection du travail avant tout licenciement.
Le statut protecteur du salarié imposait à la société cessionnaire de solliciter auprès de l'inspecteur du travail l'autorisation préalable de le licencier, peu important que l'acte de cession ne fasse pas mention de ce mandat et que le salarié n'en ait pas fait état auprès d'elle
La distinction entre mandats internes et externes à l'entreprise
Le régime de protection varie selon que le mandat s'exerce au sein de l'entreprise ou à l'extérieur de celle-ci. Cette distinction revêt une importance particulière en cas de transfert d'entreprise.
Protection renforcée pour les mandats internes
Pour les mandats exercés au sein de l'entreprise (délégué du personnel, élu du CSE, délégué syndical), la protection est automatique. L'employeur a nécessairement connaissance du statut protecteur du salarié, ce qui facilite la continuité de la protection lors du transfert.
Exigence de connaissance pour les mandats externes
En revanche, pour les mandats extérieurs à l'entreprise (conseiller du salarié, conseiller prud'homal), la situation diffère. Le salarié ne bénéficie du statut protecteur que s'il prouve que son employeur avait connaissance de ce mandat avant l'entretien préalable.
Les obligations renforcées concernant les modifications contractuelles
La jurisprudence récente a considérablement renforcé la protection des salariés protégés face aux tentatives de modification de leurs conditions de travail ou de leur contrat.
L'interdiction d'imposer des changements
Aucune modification du contrat de travail ou changement des conditions de travail ne peut être imposé à un salarié protégé. Cette règle absolue vise à préserver l'indépendance du représentant du personnel dans l'exercice de son mandat.
Cette protection s'applique aussi bien aux modifications substantielles du contrat qu'aux simples changements des conditions de travail. L'objectif est de s'assurer que les modifications envisagées ne sont pas liées au mandat exercé par le salarié.
Les conditions strictes de l'acceptation
L'arrêt du 15 février 2023 de la Cour de cassation apporte des précisions déterminantes sur les modalités d'acceptation des modifications par le salarié protégé :
"L'acceptation par un salarié protégé d'une modification du contrat de travail ou d'un changement des conditions de travail ne peut résulter ni de l'absence de protestation de celui-ci, ni de la poursuite par l'intéressé de son travail"
Cette position renforce significativement le statut protecteur en exigeant une acceptation expresse et non équivoque du salarié protégé pour toute modification.
Les alternatives pour l'employeur
Face au refus du salarié protégé d'accepter une modification, l'employeur dispose de deux options :
- Maintenir le salarié dans ses conditions de travail actuelles
- Demander l'autorisation de l'inspection du travail pour procéder au licenciement
Les spécificités selon le type de transfert d'entreprise
Le niveau de protection et les procédures à respecter varient selon que le transfert concerne la totalité ou une partie seulement de l'entreprise.
Transfert total : protection automatique
Dans le cas où l'intégralité des postes d'une même entreprise est transférée à un nouvel employeur, l'autorisation de l'inspection du travail n'est pas requise. Les contrats des salariés protégés sont, comme ceux des autres salariés, transférés automatiquement.
Cette règle s'applique également au transfert de l'intégralité d'un établissement doté de son propre comité d'établissement. La jurisprudence assimile cette situation à un transfert total d'entreprise.
Transfert partiel : autorisation nécessaire
Lorsqu'une partie seulement des contrats de travail est transférée vers un nouvel employeur, l'accord de l'inspection du travail est nécessaire pour le transfert des représentants du personnel.
Cette exigence se justifie par la nécessité de vérifier que le contrat du salarié protégé n'est pas transféré pour une raison discriminatoire. L'inspection du travail joue ainsi un rôle de garde-fou contre les transferts abusifs.
Cas particuliers des UES
La Cour de cassation a précisé dans son arrêt du 23 mars 2017 que le transfert de la totalité des salariés employés dans une UES doit être regardé comme un transfert partiel dès lors que l'entité transférée ne constitue pas un établissement au sein duquel a été mis en place un comité d'établissement.
L'indemnisation en cas de violation du statut protecteur
Lorsque l'employeur méconnaît les règles applicables aux salariés protégés, ces derniers peuvent prétendre à une indemnisation spécifique dont les modalités de calcul ont été précisées par la jurisprudence récente.
Le principe de l'indemnité de protection
Le salarié licencié en méconnaissance de son statut protecteur et qui ne demande pas la réintégration peut prétendre à la rémunération qu'il aurait dû percevoir depuis son éviction jusqu'à l'expiration de la période de protection, dans une limite de trente mois.
Le calcul en cas d'arrêt maladie
L'arrêt du 1er juin 2023 apporte une précision importante concernant le calcul de l'indemnité lorsque le salarié protégé a été en arrêt de travail pour maladie :
"Lorsque le salarié protégé a été en arrêt de travail pour maladie pendant la période d'éviction, la rémunération à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité due au titre de la violation du statut protecteur est le salaire moyen des douze derniers mois perçu avant l'arrêt de travail"
Cette solution évite que l'indemnisation soit minorée par la prise en compte d'une rémunération réduite pendant la maladie, notamment l'exclusion des commissions qui ne sont généralement pas versées pendant les congés maladie.
Les sanctions du transfert irrégulier
Si l'employeur procède au transfert du contrat du salarié protégé sans solliciter l'autorisation de l'inspection du travail lorsqu'elle est requise, le transfert est nul. Le salarié concerné peut alors obtenir :
- La réintégration dans son ancien poste
- Une indemnisation pour la période d'éviction
- Le paiement des salaires non perçus
La procédure de harcèlement moral et les salariés protégés
L'arrêt du 15 février 2023 rappelle également les règles spécifiques applicables en matière de harcèlement moral concernant les salariés protégés.
L'office du juge
Pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, le juge doit examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié et apprécier si les faits matériellement établis permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral.
L'appréciation du préjudice subi ne doit intervenir que dans un second temps, après avoir établi la réalité du harcèlement. Cette méthodologie protège particulièrement les salariés protégés qui peuvent être victimes de pressions liées à l'exercice de leur mandat.
Les compétences juridictionnelles
En cas de litige consécutif à un transfert d'entreprise impliquant un salarié protégé, la répartition des compétences entre les différentes juridictions mérite d'être clarifiée.
Le conseil de prud'hommes reste compétent pour connaître du litige opposant un salarié protégé à la société cessionnaire. Cette compétence ne peut être étendue au différend opposant la société cessionnaire à la société cédante fondé sur l'absence alléguée de mention dans l'acte de cession de l'existence du mandat du salarié.
À noter : Pour leurs demandes en garantie contre la société cédante, les employeurs cessionnaires doivent se tourner vers le tribunal de commerce.
FAQ - Questions fréquentes
Mon statut de salarié protégé est-il maintenu en cas de rachat de mon entreprise ?
Oui, le statut de salarié protégé est automatiquement maintenu lors d'un transfert d'entreprise, même si le nouvel employeur n'était pas informé de votre mandat dans l'acte de cession.
Le nouvel employeur peut-il me licencier sans autorisation s'il ignorait mon mandat ?
Non, l'ignorance du mandat par l'employeur cessionnaire ne le dispense pas de respecter la procédure applicable au licenciement des salariés protégés, incluant l'autorisation préalable de l'inspection du travail.
Puis-je être muté par le nouvel employeur sans mon accord ?
Non, aucune modification de votre contrat de travail ne peut vous être imposée. Votre acceptation ne peut résulter ni de votre silence ni de la poursuite de votre travail. Elle doit être expresse.
Quelle différence entre transfert total et partiel d'entreprise ?
En cas de transfert total, aucune autorisation n'est nécessaire. En cas de transfert partiel, l'employeur doit obtenir l'autorisation de l'inspection du travail pour transférer votre contrat.
Comment est calculée l'indemnité si mon statut protecteur n'a pas été respecté ?
L'indemnité correspond à la rémunération que vous auriez dû percevoir jusqu'à l'expiration de votre protection, limitée à 30 mois. Si vous étiez en arrêt maladie, c'est votre salaire moyen des 12 mois précédant l'arrêt qui est pris en compte.
Mes mandats extérieurs à l'entreprise sont-ils protégés ?
Les mandats extérieurs (conseiller prud'homal, conseiller du salarié) ne sont protégés que si vous avez informé le nouvel employeur de leur existence. Cette information doit être donnée avant l'entretien préalable de licenciement.
Que se passe-t-il si le transfert de mon contrat a été effectué sans autorisation ?
Le transfert est considéré comme nul. Vous pouvez demander votre réintégration dans votre ancien poste et/ou une indemnisation pour la période d'éviction.
Vers quelle juridiction me tourner en cas de litige ?
Le conseil de prud'hommes reste compétent pour les litiges vous opposant à votre nouvel employeur, même après un transfert d'entreprise.
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