Le réveil est brutal pour les cadres français. En cette fin d’année 2025, le marché de l’emploi vient de franchir un seuil inquiétant que personne n’avait anticipé il y a encore quelques mois. Seulement 8% des entreprises prévoient d’embaucher des cadres ce trimestre, selon le dernier baromètre de l’Apec publié en septembre. Un chiffre qui marque le point le plus bas depuis 2021, en pleine sortie de crise sanitaire. Pour des milliers de cadres en recherche ou en reconversion, c’est la douche froide.
Cadres : pourquoi trouver un job devient mission impossible ?

Mathieu, 34 ans, ingénieur commercial dans l'industrie pharmaceutique, en fait l'amère expérience depuis juillet : "J'ai envoyé 87 candidatures en trois mois. Avant 2024, je recevais des appels de chasseurs de têtes toutes les semaines sans même chercher. Aujourd'hui, c'est le silence radio. Quand j'obtiens un entretien, on me dit qu'il y a entre 150 et 200 candidats pour le même poste."
Comment en est-on arrivé là ? Quels sont les cadres les plus touchés ? Et surtout, comment s'en sortir dans ce contexte inédit ? Plongée dans une crise qui bouleverse les codes du recrutement.
8% : le chiffre qui fait basculer tout un marché
Les chiffres du troisième trimestre 2025 sont sans appel. Le baromètre Apec révèle que seulement 8% des entreprises françaises envisagent de recruter des cadres au cours des prochains mois. Un effondrement qui ne touche pas que les petites structures. Dans les grandes entreprises, pourtant réputées pour leurs besoins constants en profils qualifiés, seules 45% prévoient encore des recrutements, soit 13 points de moins qu'il y a un an.
L'industrie, secteur traditionnellement pourvoyeur d'emplois cadres, n'est pas épargnée. Les intentions d'embauche y tombent à 9%, perdant trois points supplémentaires. Même les services à forte valeur ajoutée, longtemps protégés des turbulences économiques, affichent des intentions à 14%, bien loin des 18% enregistrés en septembre 2024.
À noter : Ces statistiques concernent l'ensemble du marché des cadres, tous secteurs confondus. Certains métiers continuent de recruter, mais la tendance générale est à la contraction.
Moins de 293 000 recrutements prévus en 2025
Si l'on regarde les projections annuelles, le constat est encore plus alarmant. L'Apec anticipe seulement 292 600 recrutements de cadres pour l'ensemble de l'année 2025, soit une baisse de 4% par rapport à 2024. C'est la première fois depuis 2020, hors période Covid, que le marché repasse sous la barre symbolique des 300 000 embauches.
"Ce qui m'inquiète le plus, c'est la durée", confie Sandrine, responsable RH dans une ETI lyonnaise. "En 2020, on savait que c'était exceptionnel et temporaire. Là, on sent que c'est structurel. Nos budgets 2025 sont gelés, nos effectifs figés. On ne remplace même plus certains départs en retraite."
Les jeunes diplômés, génération sacrifiée
Parmi tous les profils de cadres, ce sont les débutants qui paient le prix fort. Les recrutements de cadres avec moins d'un an d'expérience chutent de 19%, un phénomène classique en période de ralentissement mais dont l'ampleur surprend les observateurs du marché de l'emploi.
Léa, 25 ans, diplômée d'une école d'ingénieurs en juin dernier, enchaîne les entretiens depuis cinq mois sans succès : "On me dit toujours la même chose : 'Votre profil est intéressant, mais on cherche quelqu'un d'opérationnel immédiatement'. Comment être opérationnel sans qu'on me laisse une chance de le devenir ?"
🇫🇷📚 FLASH | "Un master ne vaut plus rien" : le taux de chômage des jeunes diplômés Bac+5 est à 12% et a flambé ces dernières années. Des spécialistes recommandent de baisser la durée des études pour faciliter l’insertion alors que le nombre d’étudiants a explosé en 30 ans. pic.twitter.com/8yiwWy8hMm
— Cerfia (@CerfiaFR) September 18, 2025
Pourquoi les entreprises boudent les juniors ?
Cette réticence s'explique par plusieurs facteurs. En période d'incertitude, les entreprises privilégient systématiquement les profils expérimentés, perçus comme plus rapidement rentables. Les budgets formation sont rabotés, rendant l'intégration de jeunes diplômés plus coûteuse et risquée aux yeux des directions.
Thomas, consultant en recrutement depuis 15 ans, observe ce changement au quotidien : "Il y a deux ans, je plaçais des juniors en trois semaines. Aujourd'hui, mes clients me demandent au minimum trois à cinq ans d'expérience, même pour des postes qui étaient auparavant ouverts aux jeunes diplômés."
La fin d'un paradoxe : les "pénuries de talents", c'est fini
Pendant des années, les recruteurs se plaignaient de ne pas trouver les bons profils. Cette époque semble révolue. Seulement 65% des entreprises anticipent désormais des difficultés de recrutement, soit 17 points de moins qu'il y a un an. C'est le niveau le plus bas depuis 2019, avant la pandémie.
Ce chiffre marque un tournant. Les fameuses "tensions de recrutement" qui faisaient les gros titres en 2022 et 2023 ont fondu comme neige au soleil. Le rapport de force s'est inversé : ce ne sont plus les entreprises qui courent après les candidats, mais l'inverse.
Les secteurs qui tiennent encore le coup
Tous les domaines ne sont pas logés à la même enseigne. Malgré le marasme ambiant, certains métiers continuent de recruter, même si les volumes sont en baisse.
L'informatique reste en tête avec 55 600 recrutements prévus en 2025, conservant sa position de secteur le plus demandeur. Mais attention, c'est la première fois depuis 2009, hors crise sanitaire, que les recrutements de cadres informatiques subissent une contraction aussi marquée.
Le commercial et le marketing affichent 52 700 embauches attendues, représentant près d'un recrutement sur cinq. Ces profils, présents dans tous les secteurs, restent indispensables pour maintenir l'activité commerciale des entreprises.
Les cadres en études et R&D sont également ciblés, particulièrement dans l'ingénierie et chez les industriels de l'automobile, de l'aéronautique et des équipements électriques. Ces experts techniques sont sollicités pour accompagner les transformations technologiques des entreprises.
Les raisons d'un effondrement historique
Mais pourquoi un tel retournement de situation ? Les experts pointent du doigt un cocktail explosif de facteurs économiques et politiques.
Un contexte économique plombé
La Banque de France prévoit une croissance du PIB limitée à 0,7% pour 2025, un niveau anémique qui freine mécaniquement les projets de recrutement. Pire encore, l'investissement des entreprises recule de 0,5%, signe d'un attentisme généralisé.
"Nos carnets de commandes se vident", témoigne Philippe, directeur général d'une PME industrielle en Auvergne. "On a trois gros clients qui ont reporté leurs projets à 2026, voire 2027. Comment voulez-vous embaucher dans ces conditions ? On assure le service avec l'équipe actuelle, en espérant que ça suffise."
Les ajustements budgétaires qui changent la donne
Les choix politiques pèsent également lourd. La réduction des aides à l'emploi, la surcote d'impôts et la baisse du crédit impôt recherche ont refroidi les ardeurs des employeurs. Ces mesures d'austérité, destinées à réduire le déficit public, ont un effet direct sur les stratégies RH des entreprises.
Caroline, DRH dans le secteur de l'énergie, résume la situation : "Chaque embauche est scrutée à la loupe par la direction financière. On doit justifier chaque poste, prouver qu'on ne peut pas le pourvoir en interne. C'est un parcours du combattant alors qu'avant, on avait carte blanche."
L'angoisse monte chez les cadres
Face à ce marché qui se ferme, l'inquiétude gagne les rangs des cadres, qu'ils soient en poste ou en recherche. 56% d'entre eux anticipent désormais des difficultés à retrouver un emploi équivalent, soit quatre points de plus qu'il y a un an.
Ce sentiment d'insécurité touche particulièrement les jeunes générations. Chez les moins de 35 ans, l'inquiétude a grimpé de neuf points. La confiance dans la sécurité de l'emploi recule également, passant à 72%, en baisse de trois points.
Le paradoxe de la mobilité empêchée
Le plus frustrant pour nombre de cadres ? 13% d'entre eux souhaitent toujours changer d'emploi, proportion qui grimpe à 18% chez les moins de 35 ans. Mais avec un marché qui offre si peu d'opportunités, ces aspirations à la mobilité se heurtent à un mur.
"J'ai un entretien annuel catastrophique, un manager toxique, et je suis payé 10% en-dessous du marché", raconte Julien, 32 ans, cadre dans le secteur bancaire. "Il y a deux ans, j'aurais démissionné sans hésiter. Aujourd'hui, je serre les dents et je reste, parce que je sais que dehors, c'est encore pire."
À noter : Cette situation crée un cercle vicieux. Les cadres malheureux en poste restent par défaut, ce qui limite encore davantage les opportunités pour ceux qui sont en recherche active.
Comment s'en sortir dans ce nouveau contexte ?
Face à cette situation inédite, il ne sert à rien de nier la réalité ou d'attendre que les choses s'arrangent d'elles-mêmes. Les cadres doivent adapter leur stratégie, que ce soit pour sécuriser leur poste actuel ou optimiser leur recherche d'emploi.
Pour ceux qui sont en poste : miser sur l'interne
Si vous êtes actuellement en CDI, la mobilité interne devient votre meilleure alliée. Plutôt que de chercher ailleurs, explorez les possibilités d'évolution au sein de votre entreprise. Changement de service, montée en compétences, prise de nouvelles responsabilités : tout est bon pour valoriser votre parcours.
"Je voulais partir, mais j'ai finalement négocié un passage à 80% avec formation en data analyse", explique Nathalie, 41 ans, responsable marketing. "En six mois, j'ai acquis des compétences qui font de moi un profil rare dans ma boîte. Résultat : promotion et augmentation, sans prendre le risque de me retrouver sur un marché glacial."
Pour ceux qui cherchent : élargir son champ des possibles
En recherche d'emploi, la stratégie du "job parfait" ne fonctionne plus. Il faut élargir ses critères : accepter une mobilité géographique, considérer des secteurs qu'on aurait écartés auparavant, être ouvert à des structures de taille différente.
"J'ai toujours travaillé dans des grands groupes, mais j'ai fini par accepter un poste dans une PME de 80 personnes", témoigne Marc, 47 ans, cadre financier. "Le salaire est 15% moins élevé, mais j'ai retrouvé du sens, de l'autonomie, et surtout un emploi. Avec le recul, c'est la meilleure décision que j'aie prise."
Travailler sa marque personnelle sur LinkedIn devient indispensable. Publications régulières, interactions avec son réseau, positionnement d'expert : ces actions permettent de rester visible même quand les offres se raréfient.
Les compétences qui font la différence
Dans un marché saturé de candidats, ce sont les compétences différenciantes qui font pencher la balance. Les recruteurs recherchent des profils qui maîtrisent :
- L'intelligence artificielle générative : savoir utiliser et intégrer des outils comme ChatGPT, Claude ou Midjourney dans son métier
- La cybersécurité : une expertise de plus en plus demandée avec la multiplication des cyberattaques
- L'analyse de données : transformer la data en décisions stratégiques
- La gestion de projet agile : méthodes Scrum, Kanban, SAFe
- Les soft skills : capacité d'adaptation, résilience, management transversal
"J'ai suivi une formation certifiante en IA sur trois mois", raconte Sophie, 38 ans, responsable communication. "Ça m'a coûté 2000 euros sur mon CPF, mais j'ai décroché deux entretiens en une semaine dès que j'ai mis à jour mon CV. Les recruteurs cherchent désespérément des gens qui comprennent ces outils."
Faut-il s'attendre à une reprise en 2026 ?
La question que tout le monde se pose : cette crise va-t-elle durer ? Les experts restent prudents dans leurs prévisions. Avec un taux de chômage attendu à 7,6% et un recul de l'emploi salarié de 0,4% d'ici mi-2025, la situation pourrait encore se dégrader avant de s'améliorer.
Trois scénarios se dessinent pour 2026. Le premier, optimiste, table sur une stabilisation dès la fin 2025 suivie d'un léger rebond au premier trimestre 2026. "Si les taux d'intérêt continuent de baisser et que la consommation repart, on pourrait voir un frémissement", estime un économiste que nous avons interrogé.
Le scénario pessimiste envisage une nouvelle contraction en cas de choc externe : escalade d'un conflit international, crise bancaire, ou récession américaine. Dans ce cas, le marché de l'emploi cadre pourrait rester atone jusqu'à fin 2026.
Le scénario le plus probable, selon les analystes, reste celui d'une stagnation jusqu'à la fin 2025, suivie d'une reprise très progressive en 2026. "On ne reverra pas les niveaux de 2022-2023 avant plusieurs années", prévient un consultant RH parisien.
Garder le moral malgré tout
Face à ces perspectives moroses, il est facile de se décourager. Pourtant, même dans ce contexte difficile, des milliers de cadres trouvent un emploi chaque mois. Certes, cela prend plus de temps, demande plus d'efforts, nécessite parfois des concessions. Mais c'est loin d'être impossible.
"J'ai mis huit mois à retrouver un poste, contre trois semaines la fois précédente", confie Amélie, 36 ans, chef de projet digital. "Mais au final, j'ai trouvé mieux : une entreprise avec de vraies valeurs, un équilibre vie pro-vie perso respecté, et des missions passionnantes. Parfois, les crises nous obligent à nous poser les bonnes questions."
La clé réside dans l'adaptabilité et la résilience. Accepter que les règles du jeu ont changé, ajuster ses attentes sans les brader, rester actif dans sa recherche tout en préservant sa santé mentale : un équilibre délicat mais indispensable.
Le marché de l'emploi cadre traverse indéniablement une période difficile. Les chiffres sont là, têtus et inquiétants. Mais comme l'histoire l'a montré à de nombreuses reprises, les crises finissent toujours par passer. En attendant, l'important est de ne pas subir mais d'agir : se former, networker, s'adapter. Car même quand seulement 8% des entreprises recrutent, cela représente encore des milliers d'opportunités à saisir.